V. Riches-Flores: «L’action de la BCE ne suffira pas seule à écarter la déflation»

Un plan d'investissement ambitieux est nécessaire pour tirer la zone euro de l'impasse.

Jocelyn Jovène 03.12.2014
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Véronique Riches-Flores, fondatrice et président du cabinet d'analyse indépendant RF Research, évoque les perspectives de l'économie mondiale et de la zone euro en 2015. L'entretien a été relu et amendé par l'interviewée.

Quel est l’état de l’économie mondiale aujourd’hui ?

La situation n'était pas florissante et s'est plutôt détériorée ces derniers mois. L’économie mondiale est confrontée à deux défis majeurs : une croissance insuffisante du commerce mondial qui pénalise tous les pays de la planète, et la difficile transmission des politiques monétaires à l’économie réelle.

Depuis la crise de 2008, la base monétaire mondiale à été gonflée dans des proportions inédites sous l'effet des injections de liquidités des banques centrales. Pour autant, le crédit au secteur privé est étale. Les conditions économiques n'incitent pas les agents à s'endetter ni les banques à à prendre du risque. L'action des banques centrales a donc beaucoup de mal à avoir les effets recherches sur l'économie réelle.

Par ailleurs, le commerce mondial ne joue plus le rôle de locomotive et d'entraînement qu'il avait jusqu'en 2012. Cela tient, bien sûr, à la faiblesse de la conjoncture internationale mais également à la fermeture de l'economie chinoise. Cette inertie des échanges mondiaux pèse sur de nombreux secteurs de l'activité : le transport, les services commerciaux, les transactions financières et le commerce des matières premières. Les exportateurs de ces dernières qui sont largement dans le monde émergent en souffrent de plus en plus et ceci d'autant plus que les prix ont commencé à refluer.

En résumé, en dehors de quelques pays, les perspectives à l’échelle mondiale ne sont pas suffisamment bien orientées pour permettre un redémarrage du cycle du crédit et de la croissance economique.

Quels sont les risques pour la zone euro ?

En l'absence de dynamique mondiale, la stratégie de sortie de crise des dirigeants européens – rigueur budgétaire, réformes structurelles orientées vers le regain de compétitivité – échoue. Les politiques mises en œuvre depuis plusieurs années sont non seulement inefficaces mais dangereuses. La compétitivité à tout prix sans croissance de la demande devient très vite déflationniste. C'est que nous voyons aujourd'hui.

L’Allemagne n'est pas mieux lotie, cette économie étant particulièrement dépendante de ses exportations. La croissance de sa demande interne n’est pas suffisante et le moteur des exportations cale. On observe une évolution du débat dans ce pays, avec une demande plus insistante pour relancer des projets d’investissement dans les infrastructures. Le même débat a lieu en Europe autour du plan Juncker.

Y a-t-il menace de déflation en zone euro ?

La déflation est une réalité pour environ la moitié des pays de la zone euro lorsque l’on neutralise l’impact des hausses de taxes à la consommation. Si la croissance économique continue à s’affaiblir, ce sera le cas de l’ensemble de la zone dans peu de temps.

Quelle politique la BCE peut-elle conduire ?

Si la BCE se lance dans un QE, cela fera baisser le rendement des obligations gouvernementales, mais pourrait n'avoir que peu d'effets sur l'économie réelle. Le grand pari aujourd’hui, c’est le taux de change. Mais cela n’est efficace que si la demande internationale est au rendez-vous.

La chute du yen entame par ailleurs une bonne partie des bénéfices de la baisse de l'euro contre les autres devises. Allemands et Japonais sont rivaux sur de nombreux produits. Par la chute du yen, les Japonais exportent leur déflation dans le reste de l'Asie mais également, pour partie, en Europe.

La baisse des prix du pétrole devrait avoir, en revanche, un effet non négligeable sur le pouvoir d’achat des ménages susceptible de raviver la consommation. Difficile d'imaginer toutefois que ce contre-choc soit suffisant pour recrer les conditions d'une croissance suffisamment solide pour faire refluer le chômage et les déficits publics.

Il faudra donc vraisemblablement plus que l'action trop tardive de la BCE pour restaurer la croissance et chasser la déflation. Le plan de soutien à l’investissement de la Commission européenne va dans le bon sens mais il faudra assurément des initiatives bien plus ambitieuses à l'avenir.

 

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A propos de l'auteur

Jocelyn Jovène

Jocelyn Jovène  est analyste financier senior et rédacteur en chef de Morningstar France.