J.P.Morgan AM: la question du "hard landing" chinois en suspens

L'économie chinoise présente des vulnérabilités, en particulier dans le secteur de l'immobilier.

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Cet article fait partie de la série "Perspective", qui regroupe des contributions externes. Le texte suivant a été rédigé par l'équipe des stratégistes de J.P.Morgan Asset Management. Il a été relu et édité par Morningstar.

La Chine peut-elle parvenir à ralentir son économie tout en évitant un atterrissage brutal ? Depuis l'annonce de son plan de relance de 4.000 milliards de yuansdécidé en urgence fin 2008, les commentateurs ne cessent de prédire un atterrissage brutal de son économie.

L’une des raisons de ce pessimisme tient à l’excès des dépenses d’investissement réalisées, lui-même favorisé par une progression excessive de son endettement, évolution qui ne peut s’avérer durablement viable.

Si les dépenses générées par ce stimulus s’avèrent moins productives que prévu et si elles ne parviennent pas à dégager une rentabilité suffisante pour assurer le service de la dette, l’explosion des créances douteuses provoquera alors un intense mouvement de désendettement et un atterrissage brutal de l’économie. Ou, du moins, c’est ainsi que se présente l’argumentation développée par de nombreux intervenants.

A première vue, de multiples éléments contribuent à alimenter ce raisonnement. Le niveau total de l’endettement de la Chine a progressé de façon spectaculaire au cours de la décennie écoulée, pour passer de seulement 135 % du PIB en 2000 à plus de 230 % du PIB en 2013 — l’essentiel de cette augmentation étant intervenue au cours de ces cinq dernières années.

Un taux de progression aussi rapide de la dette ne peut se produire sans un certain nombre de conséquences néfastes. Mais le taux de croissance de la dette décline désormais fortement grâce aux politiques mises en place pour faire reculer l’offre de nouveaux crédits, ce qui a un impact sur le financement de toute l’économie.

Le secteur immobilier est le plus sensible à cette évolution. Sur les 99 agglomérations chinoises pour lesquelles nous disposons de statistiques pertinentes, 75 enregistraient encore des augmentations de prix des biens immobiliers il y a 12 mois ; désormais, c’est une proportion identique qui enregistre un recul des prix de mois en mois.

Le sentiment général dans ce secteur s’est nettement rafraîchi. Il existe de plus des signes évidents d’une importante surcapacité dans une série d’industries liées à la construction — c’est le cas de l’acier, du ciment, ou des métaux industriels — ce qui contribue à expliquer les fortes baisses récentes des prix des matières premières. Pourtant, la croissance du PIB au troisième trimestre (juillet-septembre) s’est malgré tout établie à 7,3 % (chiffre meilleur qu’attendu) et devrait rester à ce niveau le reste de l’année.

Une question subsidiaire se pose : pourquoi l’activité domestique n’a-t-elle pas enregistré un ralentissement plus important ? A notre avis, la réponse est liée à la profondeur des poches de l’Etat et à l’imbrication inextricable des intérêts des diverses parties prenantes : les banques, les gouvernements locaux, les entreprises publiques (SOE) et le secteur immobilier. Il est de leur intérêt de continuer à soutenir l’activité grâce à leur accès privilégié au crédit, quels que soient les rendements pouvant être en définitive générés.

Et, à moins d’un coup porté à cette communauté d’intérêts, il est difficile de déterminer pour quelle raison celle-ci devrait soudainement éclater.

D’après les chiffres de la Banque populaire de Chine (PBoC), la dette d’entreprise représente 157 % du PIB, celle des gouvernements locaux (telle que définie par la PBoC) 27 % du PIB, celle du gouvernement central 24 % du PIB et les prêts aux particuliers — (principalement hypothécaires) 23 % du PIB. Selon Morgan Stanley, 60% des prêts aux entreprises ont été consentis aux grandes entreprises, principalement les SOE.

Ces chiffres semblent plausibles, les SOE étant les entités qui disposent des relations et réseaux (“guanxi”) leur permettant d’emprunter auprès des banques contrôlées par l’Etat, qui dominent le secteur bancaire chinois. Seulement 20 % des prêts sont consentis aux petites et moyennes entreprises (les SME). Pour se financer, celles-ci dépendent essentiellement de leur autofinancement et du secteur du shadow banking (système bancaire parallèle ou informel).

Du fait de la croissance explosive du crédit depuis 2008, la plupart des étrangers partent du principe que le système bancaire chinois devrait enregistrer une hausse importante des prêts douteux (NPL ou non-performing loans). Mais les ratios de NPL dans les bilans des banques restent inférieurs à 2 % (bien qu’il convienne de reconnaître que ceux-ci suivent une trajectoire ascendante).

Une explication peut être avancée : l’utilisation très répandue de la prorogation des prêts comme un moyen de garder ouvert le robinet du crédit, même pour les emprunteurs les plus mal en point mais disposant des bonnes connections politiques. Lorsque les gouvernements locaux et les SOE ne peuvent plus rembourser leurs prêts à l’échéance, ils peuvent en obtenir la prorogation – et souvent les refinancer — à moindre coût et à des conditions plus favorables que les emprunteurs disposant d’un accès moins privilégié aux sources de financement.

De plus, il n’est pas rare de voir des SOE renflouer d’autres SOE si leurs autorités de tutelle le leur demandent. Ces pratiques posent manifestement un problème de gouvernance et défavorisent les actionnaires minoritaires. Elles contribuent cependant à maintenir le flux du crédit accessible aux emprunteurs, alors qu’il se serait tari sous d’autres juridictions moins indulgentes.

Aux yeux de nombreux observateurs, le maillon faible du système est le marché immobilier chinois, désormais en phase de fort ralentissement après le boom de la construction enregistré au cours de ces dernières années. Jusqu’à récemment, les promoteurs (qui sont habituellement des sociétés privées plutôt que des SOE, mais qui se sont vigoureusement démenées pour s’assurer un accès privilégié au crédit) ont réussi à augmenter fortement l’offre de nouveaux biens immobiliers ; le marché est toutefois désormais saturé et les stocks ont gonflé.

Pour favoriser la demande à la marge, un assouplissement des restrictions imposées à l’achat immobilier est intervenu, ce qui a donné à court terme un coup de fouet au volume des transactions. A ce stade, il est trop tôt pour dire si ces mesures ont engendré une stabilisation plus durable des prix. Mais les statistiques les plus récentes suggèrent que les pressions à la baisse sur les prix commencent à diminuer.

Pour les optimistes, il convient de mentionner que les consommateurs chinois sont largement moins endettés que leurs homologues des autres pays. De ce fait, en raison des taux élevés de l’épargne de précaution, des faibles ratios d’endettement et d’une croissance encore soutenue des revenus, la pression financière sur ce segment de marché (en supposant que la croissance reste raisonnable et que les perspectives d’emploi se maintiennent) ne devrait pas être extrême.

En l’absence de tension économique ou financière importante, il est difficile d’imaginer ce qui pourrait provoquer un mouvement de vente massif sur le marché immobilier. Les contrôles sur les flux de capitaux, la réglementation en vigueur sur les taux des dépôts et la volatilité du marché des actions ne contribuent pas à susciter des opportunités d’investissement attractives ailleurs.

L’économie chinoise présente clairement des vulnérabilités du fait de la rapidité de la progression de son endettement et de la mauvaise allocation record des capitaux du pays. Il existe cependant un grand nombre de facteurs de soutien qui ne doivent pas être négligés: des réserves de change importantes, des ratios d’épargne élevés et le faible endettement des consommateurs, pour ne citer que trois d’entre eux.

Le scénario le plus probable est celui d’un recul progressif du taux de croissance dans le temps, pour rejoindre une trajectoire plus proche de celle de la plupart des autres économies. En d’autres termes, un retour à la moyenne. Mais tant que l’on ne constatera pas des ventes contraintes de biens immobiliers ou des sorties de capitaux importantes consécutives à la libéralisation du compte de capital, il est difficile d’envisager un effondrement soudain et brutal de l’économie.

 

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A propos de l'auteur

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