J.P.Morgan AM: la BCE doit mener une action plus décisive

Jusqu'ici, les mesures de la BCE n'ont pas endigué le risque de déflation en zone euro.

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Cet article fait partie de la série "Perspective", qui regroupe des contributions externes. Le texte suivant a été rédigé par l'équipe des stratégistes de J.P.Morgan Asset Management. 

En novembre 2011 l’inflation core (sous-jacente) en zone euro atteignait 2%, alors qu’au Japon elle avait plongé à –1,1%. Trois années plus tard, l’impact d’une réponse décisive de la banque centrale sur la déflation est clair : l’indice IPC japonais (Indice des prix à la consommation) poursuit sa lente progression, à 0,6% [selon les estimations de la Banque du Japon (BoJ) qui excluent la hausse de la TVA] alors que l’inflation headline (apparente) de la zone euro est tombée à seulement 0,4%.

En vérité, l’efficacité à long terme de la politique monétaire de la BoJ reste à démontrer, mais les points faibles de celle de la Banque centrale européenne (BCE) dans son combat contre la menace de déflation sont difficiles à passer sous silence.

La rhétorique accommodante de la BCE la semaine dernière pourrait en effet constituer la première étape d’une future opération de quantitative easing (QE) et nous devons admettre que la BCE commence à prendre des mesures plus concrètes, comme le TLTRO et le programme d’achat de titres adossés à un portefeuille d’actifs. Mais pour éloigner réellement la menace de déflation, une action plus décisive est désormais nécessaire.

La BCE prévoit une inflation faible mais positive, avec un indice des prix à la consommation harmonisé (HICP) qui devrait atteindre 1,2% en 2015 et 1,5% en 2016 – chiffres qui semblent désormais devoir être révisés en baisse.

Malgré la prudence des prévisions d’inflation de la BCE, celles-ci ont régulièrement surestimé les perspectives d’inflation depuis la fin de la crise de la zone euro. Il est donc légitime de se demander si la BCE va continuer sur cette voie et si le risque de déflation est plus asymétrique que cela est généralement admis.

Notre vision conceptuelle de l’inflation prend en compte trois facteurs. Tout d’abord, l’inflation du côté de l’offre – celle provenant de l’alimentation, de l’énergie et des autres matières premières, qui réagissent rapidement au processus de formation des prix sur leurs propres marchés. Ensuite, l’inflation du côté de la demande – liée à l’évolution des salaires réels et qui tend à refléter l’écart de production. Il y a enfin les anticipations d’inflation qui, selon les données historiques, évoluent plus lentement et tendent à s’étendre sur plusieurs cycles conjoncturels.

Les anticipations d’inflation des consommateurs américains (U.S.) sont remarquablement stables : depuis 2000, l’enquête de l’Université du Michigan sur les anticipations d’inflation à 5-10 ans montre qu’elles ont fluctué de seulement 0,9 points de pourcentage – entre 2,5% et 3,4% par an – malgré la récession la plus profonde jamais enregistrée depuis les années 30.

S’il n’existe pas de série statistique équivalente pour l’Europe, les anticipations à 12 mois des prix à la consommation (l’un des éléments de l’enquête sur le sentiment des consommateurs en zone euro) suggèrent un recul régulier des anticipations d’inflation agrégées depuis la crise.

Il existe plusieurs raisons possibles à la surestimation du HICP par la BCE, telles que des estimations erronées de l’écart de production agrégé ou la difficulté d’agréger des données divergentes provenant des pays du coeur et de ceux de la périphérie de la zone euro.

Cependant, une autre explication plausible tient au fait que les anticipations d’inflation agrégées ont été moins bien ancrées qu’anticipé. Ceci pourrait être en partie lié au manque de données sur les anticipations inflationnistes en Europe ; de même, l’importance excessive accordée aux anticipations inflationnistes probablement plus élevées au sein des pays du coeur de la zone par rapport à celles, régulièrement plus faibles, des nations périphériques pourrait jouer un rôle.

La différence de stabilité des anticipations inflationnistes entre les consommateurs américains (U.S.) et européens pourrait bien être due aux approches différentes de la Réserve fédérale et de la BCE.

Si l’on ne peut nier que la BCE en a déjà fait beaucoup sur le seul plan de la sémantique, la Réserve fédérale a répondu de manière plus décisive au recul de l’inflation : lorsque le taux d’inflation à 5 ans dans 5 ans aux Etats-Unis est tombé sous le seuil de 2% en août 2010, celle-ci a mis en place le QE-2. Il en est résulté que les consommateurs américains (US) ont à peine eu le temps de remarquer le bref plongeon de l’indice IPC core à 0,6% fin 2010, avant que les mesures de relance ne commencent à agir et ne provoquent une remontée du taux de cet indice.

A l’inverse, les consommateurs européens ont souffert d’un cocktail d’austérité, d’inertie de leur banque centrale et du dysfonctionnement de leur système bancaire pendant une période bien plus longue, les nations périphériques vivant désormais avec la déflation.

Il semble que ce contexte ait lourdement pesé sur les anticipations d’inflation agrégées. Mais même dans ce cas, la persistance d’anticipations inflationnistes durablement basses ne se traduit pas automatiquement par la déflation : la combinaison toxique de niveaux d’inflation négative et d’anticipations de baisses de prix dans le futur est en effet nécessaire pour que la déflation s’enracine.

A la fin des années 70, nous n’avons connu qu’un exemple de déflation persistante, celui du Japon ; ailleurs, les baisses de prix des biens et des services ne sont pas un phénomène fréquent. Cependant, les anticipations d’inflation ancrées à un niveau proche de zéro créent une asymétrie des risques : un choc tel qu’un recul brutal des prix de l’énergie ou une pression à la baisse sur les salaires, peut se traduire par un épisode déflationniste.

Les anticipations d’inflation en zone euro sont probablement désormais ancrées à un niveau faible mais positif et, en l’absence d’action de la BCE, devraient demeurer à ce niveau. Ceci ne signifie pas nécessairement une évolution vers la déflation mais il existe des effets secondaires indésirables.

Tout d’abord, cette situation rend la zone euro vulnérable aux chocs déflationnistes, une difficulté potentielle pour les actions. En second lieu, les épargnants sont susceptibles de maintenir une préférence marquée pour les dépôts bancaires et les obligations : si les anticipations d’inflation à plus long terme des investisseurs sont ancrées à un niveau faible, ils sont alors plus enclins à considérer tout choc inflationniste comme temporaire et ajustent leur taux d’épargne mais non la composition des actifs pour s’y adapter.

Troisièmement, de faibles anticipations d’inflation dans toute la zone euro ralentissent le rythme du rééquilibrage fortement nécessaire entre le coeur de la zone et sa périphérie. Enfin, les risques de déflation menacent la reprise dans les nations endettées de la périphérie et sont dissuasifs pour l’investissement en capital.

Le résultat final est intéressant : l’insuffisance des mesures de stimulation de la croissance et l’engorgement des canaux de distribution du crédit en Europe rendent les entreprises et les particuliers moins capables de bénéficier de la faiblesse structurelle des taux d’intérêt qui sont une conséquence de la faiblesse de l’inflation.

Cependant, l’internationalisation des marchés obligataires signifie que l’Europe exporte effectivement cette faiblesse des taux d’intérêt vers les autres régions, qui peuvent en bénéficier. Nous estimons en particulier que les Etats-Unis constatent la manifestation de la bataille de l’Europe contre la déflation dans la compression des rendements des bons du Trésor américain à long terme. A leur tour, les entreprises américaines (U.S.) délivrent des rendements de leurs actions exceptionnellement élevés, en partie en raison de la faiblesse de leurs coûts de financement.

Pour que l’Europe commence à bénéficier des perspectives de faible inflation et de faibles rendements obligataires, plutôt que de simplement les exporter, la BCE devra passer de la parole aux actes.

Comme le montrent les expériences du Japon, du Royaume-Uni et des Etats-Unis, ce sont, en dernier ressort, les mesures de stimulation, non les promesses, qui permettent le relèvement des anticipations d’inflation à long terme.

Pour conclure, nous estimons improbable une entrée en déflation de la zone euro dans son ensemble ; mais jusqu’à la disparition de cette menace, la faiblesse des rendements en Europe pourrait bénéficier davantage aux autres régions qu’aux européens eux-mêmes.

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A propos de l'auteur

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