Comment la Bourse réagit-elle juste avant une hausse des taux - AXA IM

Quels enseignements retirer des précédentes phases de hausse des taux directeurs de la Fed et leurs conséquences pour les marchés ?

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Cet article fait partie de la série "Perspective", qui regroupe des contributions externes. Le texte suivant a été rédigé par Frank Wenzel et Ombretta Signori membres de l'équipe de recherche et de stratégie d'AXA Investment Managers.

  • Les marchés obligataires US ont affiché des performances étonnamment bonnes au cours du 1er semestre. En supposant que la Fed va sans doute commencer à relever ses taux vers la mi- 2015, les rendements obligataires peuvent-ils rester bas ou la normalisation va-t-elle reprendre ?
  • Les marchés US n'ont pas déçu les investisseurs : 6% de hausse durant le 1er semestre est un retour sur investissement satisfaisant. Mais l'inquiétude s'accroît, surtout à cause de valorisations élevées.
  • Nous avons étudié le comportement passé des marchés US durant des phases similaires de politique monétaire, i.e. une longue période de taux inchangés précédant un cycle de resserrement.
  • Les marchés actions ont toujours affiché de bons rendements durant la phase de pré-resserrement dans des circonstances analogues à la situation actuelle. Les marchés obligataires ont en moyenne affiché de médiocres performances.
  • Cette comparaison historique plaide en faveur de notre recommandation de surpondérer les actions et de sous-pondérer les emprunts d'Etat.

 

Source: AXA Investment Managers.

1er tour de vis de la Fed : le compte à rebours a commencé

Nous savons grâce aux documents des meetings du FOMC que 12 de ses membres sur 16 considèrent 2015 comme le moment approprié pour un resserrement monétaire. A ce jour le consensus situe la 1ère hausse de taux à la mi 2015, les marchés la placent plus tard.

Un resserrement monétaire se traduit normalement par un mouvement de même direction des taux à long terme1, mais la période actuelle est particulière en raison du long délai précédant ce resserrement. Les obligations et les actions peuvent-elles dès lors continuer à se comporter aussi bien qu'elles l'ont fait au cours du 1er semestre 2014 ?

Du côté des actions, les interrogations fortes portent sur des valorisations chères ; côté obligations, le retard de la normalisation des taux longs a surpris la plupart des investisseurs (dont nous-mêmes).

Conscients du caractère inédit de la période post-2008, nous nous livrons à une comparaison historique pour voir comment obligations et actions se sont comportées au cours de phases similaires de politique monétaire.

Quand la Fed observa une pause avant de resserrer

L'instrument principal de la politique monétaire, le taux des fed funds, atteignit un point haut à 20% en 1979 et 1980 pour combattre une inflation à deux chiffres. Depuis 2008 il est à son plus bas historique, entre zéro et 0,25%. Les taux ne sont restés inchangés en bas de cycle pendant au moins un an avant de remonter qu'à trois occasions. A chaque fois les circonstances conduisant à un resserrement ont été globalement les mêmes, à savoir la reprise de l'économie.

L'épisode des années 60

Du point de vue de la politique macroéconomique, les années 60 ont été une période controversée, selon beaucoup d'économistes, alors que le système de Bretton Wood était encore en vigueur.

En 1963 l'économie US avait complètement effacé la récession de 1960-1961 et l'inflation était stable et faible. En août, la Fed releva les taux de 50pb de 3 à 3,5% pour ralentir les sorties de capitaux. Il faut avoir à l'esprit le fait que le double mandat actuel de la Fed, i.e. stabilité des prix et niveau maximal d'emploi, ne fut mis en place qu'en 1977.

Les profits des entreprises étaient élevés en 1963 et continuèrent à augmenter pour atteindre un pic de 10% du PIB au cours des années suivantes ; le taux de croissance réelle annuel accéléra, dépassant 5%, et le marché du travail montra une légère amélioration, le taux de chômage commençant à baisser à partir d'un niveau de 5,5% (en milieu d'année).

Entre la mi-1962 et la mi-1963, les obligations et les actions évoluèrent en parallèle, comme depuis le début de 2014. Comme signalé plus haut, les perspectives économiques entourant les marchés actions étaient favorables et les cours boursiers rebondirent de 21%. A savoir que les actions affichèrent des rendements à deux chiffres (15,5%) aussi au cours de l'année suivante le resserrement malgré des valorisations plutôt élevées (l'indice Shiller P/E s'établit à 204 pour une moyenne historique de 17).

Durant la même période (mi-62 à mi-63) les taux des bons du trésor US à long terme restèrent quasiment inchangés à 4% (Figure 1). Cette réaction des obligations n'avait rien de surprenant : le resserrement fut un geste isolé sans hausse ultérieure des fed funds pendant un an.

La différence la plus frappante avec la période actuelle est qu'on anticipe un cycle de resserrement durable en 2015, pas un tour de vis unique, ce qui signifie que le marchés obligataires et actions devraient diverger d'ici à la fin 2014.

L'épisode des années 90

L'année 1994 restera dans l'histoire comme celle du krach obligataire. Le taux des fed funds était resté à 3% depuis la fin 1992 lorsque, le 4 février 1994, la Fed vota à l'unanimité pour une hausse de 25pb. Il s'agissait du 1er changement de politique monétaire après une longue pause, en réalité le 1er resserrement depuis près de cinq ans.

La lecture des minutes du FOMC suggère que le Comité a réagi à une accélération inattendue de la croissance ; au même moment les hausses de prix étaient surtout dues à la hausse de leur composante matières premières à la fin 1993. En conséquence, reflet d'un taux de croissance plus fort, les enquêtes prédisaient une hausse continue des prix à la consommation en 1994, de 2,9% à 3,3% entre le 1er et le 4ème trimestre, les anticipations d'inflation à long terme (10 ans) se stabilisant à 3,5%.

Par la suite les fed funds augmentèrent de 300pb en l'espace d'un an, exerçant une énorme pression sur les cours obligataires. Les taux à 10 ans finirent l'année 1994 plus de 200pb au-dessus de leur niveau de bas de cycle, soit à 8% en décembre 1994.

Les cours boursiers gagnèrent 7% durant l'année précédant le resserrement, et le marché, soutenu par des fondamentaux sains des entreprises et une hausse continue des profits (en % du PIB), resta haussier en dépit de la forte hausse de taux et n'atteignit son pic que 3 ans plus tard.

Toutefois, durant quelques mois précédant le resserrement, les marchés actions et obligataires montèrent. Les marchés obligataires ne commencèrent à souffrir que trois à quatre mois avant février 1994, comme en attestent les variations de taux. De février 93 à février 94 les rendements à 10 ans baissèrent de 29pb (Figure 1).

Un recoupement effectué à l'aide d'enquêtes auprès des professionnels confirme qu'au début 1993 les économistes n'envisageaient pas encore une croissance plus forte obtenue au prix d'une inflation plus élevée et les anticipations d'inflation à long terme poursuivaient leur recul. Le retournement des taux longs fut déclenché par les révisions de prévisions économiques conduisant les prévisionnistes et les investisseurs à réaliser que la Fed ne tarderait pas à cesser d'être accommodante.

Aujourd'hui une Fed "colombe" soutient en douceur les marchés obligataires et actions ; et, à l'instar de ce qui se produisit en 1993, le marché obligataire semble tarder à intégrer le processus de normalisation de la politique monétaire, l'amélioration du marché du travail et les premiers signes (encore modestes) de tensions salariales.

Toutefois un scénario du type 1994 pour les marchés obligataires (suite au resserrement monétaire) semble improbable pour plusieurs raisons. D'abord le cycle de resserrement à venir ne sera pas aussi agressif (les taux courts réels resteront négatifs en 2015 et 2016), les anticipations d'inflation à long terme sont bien ancrées à un bas niveau, l'offre nette d'obligations US se réduit et il existe une forte demande d'investisseurs à long terme peu sensibles aux prix (les banques centrales, les fonds de pension, les banques commerciales) et très demandeurs d'actifs sûrs.

Dernier point, et non des moindres, les marchés anticipent un taux final (en fin de resserrement) plus bas. Pourtant, le plus grand danger pour le marché obligataire est que, plus la période de taux bas se prolongera, plus fort sera le risque de moyen terme que la Fed se retrouve en retard.

L'épisode des années 2000

En 2004, le taux des fed funds se situait à un plus bas de 45 ans à 1% lorsqu'en juin la Fed releva ses taux directeurs après une pause d'un an. Les craintes sur la politique économique étaient assez équilibrées et, lorsque l'inflation (CPI) pour les 2nd et 3ème trimestres augmenta fortement (d'un peu moins de 2% à environ 3%), la Fed en profita pour devenir un peu moins accommodante.

L'enquête auprès des prévisionnistes professionnels pour cette période confirma un contexte globalement stable pour la croissance économique (à peine en hausse pour 2005, à 3,9% de 3,8%), une amélioration modérée du marché du travail et des projections en hausse pour l'inflation à court terme.

A propos de l'impact sur les marchés, les commentateurs comme les membres de la Fed opposent souvent la normalisation de la politique monétaire de 2004 et l'épisode de 1994. De fait, les marchés obligataires réagirent assez différemment.

Concernant la période précédant la 1ère hausse de taux, 2004 est le seul cas parmi les trois analysés ici où obligations et actions n'ont pas évolué de concert. Les taux US à 10 ans augmentèrent de 140pb (de 3,3% à 4,7%), le marché actions progressant de 15% pendant la même période (Figure 1).

L'indice Standard & Poor afficha également une hausse raisonnable de 6% durant l'année suivant le resserrement. Ceci résulta du fait que la réduction progressive de l'accommodation de la Fed ne pénalisa pas les profits des entreprises en hausse, même si les valorisations de l'indice P/E Shiller étaient supérieures à leur moyenne (à 26, près des niveaux actuels).

Cette période se distingue surtout par le comportement déroutant des taux longs US suite au resserrement. Le cycle de resserrement fut particulièrement long et porta le taux des fed funds de 1% à 5,25%. Entre juin 2004 et juin 2006 l'abandon de la politique accommodante aurait dû faire monter bien plus les taux longs.

Au lieu de cela, ils restèrent relativement inertes, ne gagnant que 64pb sur l'ensemble de la période, de 4,60% à 5,14% (ils perdirent 73pb durant les 12 mois suivant le premier resserrement).

Dans son désormais célèbre discours du 16 février 2005, le président de la Fed Alan Greenspan évoqua d'abord "l'énigme" du marché obligataire, donnant ainsi un nom au comportement particulièrement surprenant des taux longs depuis juin 2004.

Conséquences pour les marchés

Notre comparaison historique montre qu'à l'approche du 1er resserrement de la Fed (et même au-delà), les actions ont toujours affiché de bonnes performances. Pour les périodes étudiées les fondamentaux des sociétés étaient relativement sains, les profits (en % du PIB) orientés à la hausse.

Du coup la suppression de l'accommodation de la Fed ne porta pas atteinte à la hausse du marché actions, même si les paramètres d'évaluation6 semblaient un peu excessifs au plan historique. La situation actuelle est similaire.

En outre, notre scénario se fonde sur l'idée que le contexte économique va s'améliorer en douceur, que l'inflation restera maîtrisée et que l'accommodation de la Fed ne sera pas supprimée précocement, vu que les taux d'intérêt réels à court terme resteront négatifs ou proches de zéro en 2015 et peut-être au-delà.

La phase de pré-resserrement est en moyenne négative pour les obligations : les taux longs ont progressé de 38pb durant les trois périodes (Figure 1). Mais la décomposition des trois cas montre que seule la période 2003/2004 fut clairement une mauvaise année pour les obligations.

Les taux longs bougèrent peu en 1963 avant un tour de vis isolé et, en 1994, parce que le resserrement intervint de façon inattendue. Dorénavant, à la lumière d'anticipations d'un cycle de resserrement à venir prolongé et très progressif, les bons du Trésor US devraient connaître des tensions modérées au cours de l'année à venir.

Ces constatations renforcent notre recommandation d'allocations, de surpondérer les actions et de souspondérer les obligations d'Etat.

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A propos de l'auteur

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