La fin du QE n'est pas pour demain

Le marché anticipe un « tapering » en mars 2014, mais pour Véronique Riches-Flores, de RF Research, les conditions sont loin d’être réunies.

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Cet article fait partie de la série "Perspective", qui regroupe les contributions externes d'experts. Le texte suivant a été rédigé par Véronique Riches-Flores, de RFResearch.

Les déclarations de B. Bernanke et la publication des minutes du dernier comité FOMC ont effacé les doutes nés du changement de communication de la Fed du 18 septembre et renforcé les anticipations d’une réduction de ses achats d’actifs, dorénavant largement anticipé pour le mois de mars. Nous restons dubitatifs par rapport à ce consensus, ceci pour trois raisons essentielles.

L’amélioration du contexte conjoncturel reste à prouver

Si la situation actuelle n’est pas alarmante, la garantie d’une amélioration est encore loin d’être établie. Les arguments généralement mis en avant pour justifier les attentes d’une embellie de la conjoncture -ISM, immobilier et investissement des entreprises- sont encore très largement discutables.

1- Les signaux positifs délivrés par l’ISM

C’est incontestable, l’ISM a fortement rebondi. À 56,1 en moyenne au cours des trois derniers mois dans le secteur manufacturier comme dans les services, cet indicateur a renoué avec ses niveaux les plus élevés depuis le début de l’année 2011. Sommes-nous sûrs néanmoins que les résultats de cette enquête soient aussi fiables que par le passé ? La déconnection croissante entre l’indice non manufacturier et la croissance du secteur des services pose incontestablement question. À 55 points en moyenne au cours des douze derniers mois, l’ISM non manufacturier aurait suggéré une croissance de l’ordre de 3 % l’an dans les services par le passé, or cette dernière n’excède pas 0,75 % au troisième trimestre. La pertinence de cet indicateur comme témoin de l’activité réelle s’est, en effet, nettement dégradée depuis le début des années 2000. Si nous n’avons pas toutes les clés d’explication de ce phénomène, une chose est sure, la croissance dégagée par le secteur tertiaire reste anormalement faible depuis la fin de la récession. En d’autres termes, un retour à la normale dans le tertiaire est incontournable pour assurer une reprise plus solide. On force est de constater que nous n’y sommes pas.

2- La bonne tenue de l’immobilier

La confiance à l’égard de ce secteur est  pour le moins surprenante dans un contexte ou quasiment tous les indicateurs, à l’exception des prix, se sont retournés : au-delà du chiffre des ventes publiés cette semaine, mises en chantier, permis de construire et promesses d’achats se sont, en effet, fortement dégradées ces derniers mois. La croissance de l’indice NAHB est également en net repli sur douze mois, ce qui préfigure habituellement une baisse de la croissance de l’investissement immobilier. On ne peut, à ce titre, qu’être très prudents à l’égard de la première estimation d’une progression de 15 % en rythme annualisé des dépenses d’investissement résidentiel publiée avec les chiffres du PIB du troisième trimestre. Que les prix continuent de grimper dans un tel contexte est dès lors non seulement insuffisant pour convaincre d’une bonne santé retrouvée du secteur immobilier mais, à certains égards, préoccupant…

3- La confiance dans l’investissement des entreprises

La prévision d’une consolidation de la croissance par une reprise de l’investissement des entreprises est très largement répandue parmi les économistes américains. Nous sommes, sur ce point également, beaucoup plus réservés. Non seulement, en effet, parce que l’affaissement des gains de productivité des derniers trimestres n’est guère propice à une telle amélioration mais également parce que la situation des PME reste particulièrement fragile, ainsi qu’en témoigne le bas niveau persistant de l’enquête NFIB qui ne parvient toujours pas à sortir du canal étroit dans lequel elle oscille depuis plus de deux ans maintenant. Or, ces dernières concentrent une très large partie des dépenses d’investissement en capital de l’économie américaine qui, sans accélération, rend bancale toute perspective d’amélioration durable du marché de l’emploi et de retournement du taux de participation sans laquelle la conviction d’une réelle amélioration de l’économie américaine ne sera pas acquise.

L’ensemble est donc loin d’assurer l’embellie conjoncturelle que le consensus intègre aujourd’hui et il faudra, au mieux, plusieurs mois pour qu’éventuellement ces tendances redeviennent plus convaincantes.

L’inflation est beaucoup trop faible

Les résultats en matière d’inflation ne sont pas plus favorables à un changement de cap imminent de la politique de la Fed. Peut-on en effet envisager que la Fed abaisse son QE avec une inflation annuelle de 0,9 %, alors que son objectif est de 2,0 % ? Non seulement nous sommes très loin de ce niveau mais les dernières statistiques ne vont assurément pas dans la bonne direction : au cours des douze derniers mois, le taux d’inflation hors alimentation et logement n’a pas excédé 0,1 % ! Or, plus faible est l’inflation plus le risque que fait peser la perspective d’une hausse des taux est élevé. Entre octobre 2012 et octobre 2013, les taux d’intérêt réels à 10 ans sont passés de -0,4% à 1,7 %, un mouvement assurément brutal que l’économie américaine risque d’avoir de plus en plus de mal à absorber.

Le scenario d’un arrêt du QE sans hausse des taux est bien peu crédible

Davantage que la situation économique elle-même c’est dans le changement d’anticipations, qu’induirait une réduction des achats de titres par la Fed, que réside sans doute le risque majeur encouru par l’éventualité d’une telle décision. A ce stade de la reprise, l’économie américaine pourrait, en effet, probablement se passer des injections de liquidités auxquelles procède la Fed. Le sujet n’est donc pas tant celui-ci, que celui de l’effet d’une interruption de ces achats sur le niveau des taux d’intérêt.

Or, un scénario d’arrêt du QE sans hausse des taux n’est guère concevable. Par ses interventions, la Fed a retenu les taux d’intérêt sur un niveau artificiellement bas qui n’a aucune raison d’être maintenu dès lors que les achats d’actifs cesseraient. La question se pose dès lors du niveau approprié des taux longs vers lequel ceux-ci devraient spontanément retourner.

Or le niveau des taux longs correspondant à des perspectives de croissance comprises entre 2,5 % et 3 % et à une inflation de 2 %, n’est assurément pas de 3% mais au moins de 4 % et potentiellement bien au-delà si l’on applique une règle simple mais des plus fiables consistant à considérer que sur moyenne période les taux à 10 ans convergent vers les taux de croissance nominale de l’économie. On rappellera à ce titre qu’entre 1967 et 2013, la moyenne des taux à dix ans s’établit à 6,88 % pour une croissance nominale du PIB de 6,82 % ! …

Abaisser le QE dans de telles conditions ferait, de fait, encourir un risque considérable. Quand et comment se fera le changement directionnel des anticipations présentes est difficile à prévoir mais il est vraisemblable que le retour de bâton intervienne, quoiqu’il en soit, avant le mois de mars.

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A propos de l'auteur

Véronique Riches-Flores

Véronique Riches-Flores  Présidente de RF Research, cabinet indépendant d'analyse économique et financière.